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29 mars 2006 3 29 /03 /mars /2006 16:46
 J'AI SERRE LA MAIN DU DIABLE de PETER RAYMONT

Documentaire - CANADA - 53 mn (2004)

"Entre le 6 avril et le 16 juillet 1994, en cent jours à peine, près de 800 000 hommes, femmes et enfants furent sauvagement massacrés au Rwanda.
Les victimes, souvent achevées à la machette, furent majoritairement des Tutsis et des Hutus modérés. Les Nations Unies envoyèrent sur le terrain un militaire canadien, le général Roméo Dallaire pour y maintenir la paix. Connaissant mal le pays, disposant d'unités sous-équipées et mal entraînées, et sans réel soutien des Nations Unies et d'un Conseil de sécurité plus éloigné que jamais, Roméo Dallaire et sa poignée de soldats se montrèrent vite incapables d'empêcher le génocide. Rongé par les souvenirs, revivant continuellement les horreurs vécues et après neuf ans de traumatisme ponctués par plusieurs tentatives de suicide, Roméo Dallaire nous fait part de son expérience au Rwanda."


Distributeur: FILMS TRANSIT INTERNATIONAL

Contact: office@filmstransit.com.com



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29 mars 2006 3 29 /03 /mars /2006 16:43
 STATE OF FEAR de PAMELA YATES
 
Documentaire - ETATS UNIS/PEROU - 94 mn (2005)

Photos by Vera Lentz

Voir la bande-annonce
Acheter la video

"Un pays doit faire face à une menace terroriste. En prise à l'insécurité, il entre dans un état de peur. Ce pays, c'est le Pérou dont l'histoire résonne de manière familière à nos oreilles, tant la guerre globale contre le terrorisme menée actuellement à travers le monde, avec son cortège de lois antiterroristes liberticides, ses interventions militaires préventives et son usage incessant de la peur dans la manipulation des opinions publiques, semblent lui faire écho.

 Ce film montre le rôle de la longue et courageuse lutte des acteurs de la société civile péruvienne dans la chute du président Alberto Fujimori et la formation de la Commission de la Vérité et de la Réconciliation. Son mandat formulé par le nouveau gouvernement : établir la vérité sur les dérives commises au nom de la lutte contre le terrorisme.

 Depuis ses premières rencontres avec Abimaël Guzman, chef de l'organisation terroriste "Sentier Lumineux", jusqu'à sa récente participation dans l'historique Commission de la Vérité, Carlos Ivan Degregori, l'un des intellectuels et observateurs politiques les plus influents du pays, a occupé une position unique de cette histoire récente. Les faits révélés par la Commission de la Vérité constituent une leçon pour le monde entier."

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29 mars 2006 3 29 /03 /mars /2006 13:39

Préambule: ma maman, Vipassana et moi

Quand ma mère m'a déposée in extremis à la gare de Toulon pour que je prenne mon TGV direction mon cours de méditation Vipassana, elle m’a très ironiquement souhaité de bien « me regarder le nombril pendant dix jours ».

Je ne me suis pas formalisée outre mesure.

C’est que l’on croit, en France, que les retraites sont réservées à trois types de personnes :

La première catégorie rassemble les mystiques de tout bord. Fous de Dieu, ils sont tolérés à la façon des fadas provençaux d’autrefois (à condition, bien entendu, qu’ils ne portent pas la barbe, et qu’ils ne se mêlent pas d‘ affaires terrestres).

La deuxième se compose de tous ceux qui, confrontés à l’angoisse de la mort – la leur ou celle d’un proche – ont besoin, en urgence, de résoudre le mystère de la vie.

La troisième compte majoritairement des femmes. On suppose que la vie les a malmenées, et on les pense hystériques ou fragiles. 

En France, en fait, on battrait plutôt en retraite. Quand la vie nous a attaqué et qu’elle a enfoncé notre ligne de front, on demande une trêve, on quitte in extremis le champ de bataille, histoire de faire le décompte des pertes, de reprendre des forces, de remotiver ses troupes et  de revoir sa stratégie.

 

 Alors, moi, jeune, bien diplômée, sans problème majeur, avec le monde qui me tendait les bras, si je battais en retraite pendant 10 jours, c’est que, forcément, je m’étais inventé des ennemis imaginaires, de fausses souffrances. J’étais une hypocondriaque du mental, un brin égoïste, un peu lâche, sûrement plus paumée que ce qui n’était légitime, et qui voulait encore prendre son temps avant de faire le grand saut d’un engagement professionnel à long terme.

Chez moi, c’est comme chez vous : on ne rigole pas avec le travail.

Soit dit en passant, je n’en veux pas à ma mère.

Si j’étais partie faire une retraite chrétienne, elle aurait été, sans doute, agréablement surprise de mon soudain revirement religieux, pensant que je souhaitais prendre une dose de lumière pour mettre ma vie professionnelle sous le signe très chrétien du service des autres, et l’autre, pour certains, c’est Dieu. A ça on ne peut rien redire. Surtout quand on est ma mère.

M’enfin, là, en l’occurrence, je partais me former pendant 10 jours à la technique - très bouddhiste - de méditation dite « Vipassana » - qui signifie « voir les choses telles qu'elles sont réellement ».

Or, ma maman, qui n’est pas née de la dernière pluie, savait que le but du bouddhisme est l’éveil, c'est-à-dire la réalisation d’un état de non-attachement total.

Le bouddhisme a mauvaise presse dans certains milieux socialement engagés d’Occident. On a l’impression qu’être non-attaché, c’est être indifférent. Désengagé. 

On a l’impression que méditer, c’est, effectivement, « se regarder le nombril ».

Dix jours, passent encore, mais il y en a, paraît-il, qui ont escaladé les Himalaya, et qui n’en sont jamais redescendus.

Ils « se regardent le nombril » depuis des décennies.

Que peut-on tirer de ces gens qui vont chercher tout seul leur propre salut, abandonnant leurs congénères à la misère du monde ? Si ce sont les valeurs bouddhistes, alors, non, merci bien.

C’est bien mal me connaître, d’accord. Mais c’est surtout bien mal comprendre l’art de vivre bouddhiste tel qu’enseigné par S.N. Goenka, le maître (dans le sens d’enseignant) de Vipassana qui a rediffusé cette technique ancestrale de méditation sur notre vieille planète.

En Inde, maître se dit « gourou ». C’est vrai : c’est flippant.

Car ma maman – ç’aurait pu être la votre – craignait aussi, il faut bien l’avouer, que je ne tombe sous la coupe d’un indien vénéré, et que je ne quitte tout pour escalader les Himalaya, et me la couler douce dans un ashram, voire un ermitage enneigé.

Dans le meilleur des cas.

Sans parler du risque que je tombe sur un faux indien véreux qui me ferait prier les extra-terrestres, m’intégrerait à son ashram, me forcerait à renier ma famille et à travailler comme consultante en stratégie dans un Big Five pour me prélever l’air de rien l’intégralité de mon salaire.

Sans rire, ça arrive tous les jours à des gens très intelligents.

Pour rassurer ma maman, j’ai vérifié que l’association française de Vipassana  Dhamma Mahi n’était pas référencée sur www.prevensectes.com, le site web qui vous dit tout sur votre gourou. Et bien non.

 

Et puis, deux de mes amis – des hommes, jeunes qui plus est, si, si ! – avaient suivi ce cours dans les mois précédents. Ils en étaient revenus enthousiastes, et passablement transformés. En mieux, ça va sans dire. Je dis mieux. En fait, je devrais dire plus sereins. Je me suis dit, ça vaut le coup, 10 jours, pour gagner durablement quelques minutes de sérénité par jour.

Donc, je m’étais inscrite, quelques mois à l’avance, parce que visiblement, en fait, je ne suis pas la seule française à être, tout simplement, en quête de sérénité.

Ben non.

 


 

Jour J-1

 

La veille du grand jour, en transit à Paris, je relis le code de discipline :

Ne pas tuer, ne pas voler. Bon.

Ne pas mentir. Ca serait difficile : dix jours d’isolement. Dont neuf de silence. De tous les silences. C'est-à-dire, concrètement, pas d’interaction avec mes petits camarades. Pas de mots, pas de regard, pas de geste. Pas de sourire. Je ne visualise pas vraiment le rendu.

Mais, on a le droit de s’adresser à « l’assistant-enseignant » pour lui poser des questions d’ordre technique, en public ou en privé. Et puis, à notre « manager » de dortoirs pour demander des couvertures, entre autres.

Pas d’inconduite sexuelle. Indépendamment du flou artistique qui entoure le concept, ce serait au moins aussi difficile : hommes et femmes seront strictement séparés. Dommage. Je me voyais déjà méditer en famille sous une yourte dans l’Aubrac. Ou sous une raïma dans le jardin de ma future villa-avec-piscine dans le Lubéron…

Question confort, ici, par contre, ce serait dortoirs et douches collectives.

Penser à m’acheter des boules Quiès.

Pas d’alcool. Pas de viande. Un régime détox en somme.

Pas de cigarettes. Forcément.

Pour ce qui est des divertissements :Pas de téléphone portable. Pas d’ordinateur portable. Non plus. Pas de wi-fi. Logique. Pas de Nip/Tuck. Oui oui.

Pas de livre. Ah bon ?

Pas de papier, pas de crayon. Ah bon !?

Ca reste théorique. Même pas mal.

Voyons l’emploi du temps. Niveau rythme: lever 4h00. Même pas possible.

Petit déj à 6h30. Y’en a vraiment qui ont faim à cette heure-ci ?

Déjeuner à 11h30.

Goûter à 17h00. Deux fruits…bon.

Dîner… Dîner ? Ben non. Pas.

Peut-être que j’aurai faim à 6h30, en fait.

 

J’ai comme un doute. Déjà, dans la vraie vie, je suis réfractaire à toute forme de discipline. Alors, là.

Je me rassure comme je peux. En me disant qu’un grand nombre d’étudiants ont suivi ce cours avant moi. Y ont survécu. Que ça leur a visiblement beaucoup apporté. Que je marche courageusement dans les traces de milliers de chercheurs de vérité. Que d’abondants témoignages louent les bienfaits de la méditation. Même, si, je le sais bien, je n’ai pu en vérifier que deux.

Au secours ! Je ne sais rien de ce qui m’attend !

 

Le Jour J

 

Je prends le train de midi à la Gare de Lyon. Je jauge les passagers, essayant de deviner parmi les visages alentours lesquels sont susceptibles de dissimuler des personnalités assez folles ou assez désespérées pour venir s’enfermer de leur plein gré et dans le silence à mille miles de toute société de consommation.

J’évalue la taille, le poids des bagages - valises à roulette ou sacs à dos. Y’a pas grand monde qui part en grandes vacances à Auxerre en plein mois de janvier.

J’examine les styles. Qui porte un foulard hippie autour du coup ? Qui parmi les hommes a des cheveux longs ? Qui a l’air paumé ? Qui a l’air méditatif ? Qui a l’air de flipper comme moi ? Peut-être celui-ci. Celle là. Elle, vraiment ? Mmh. Non.

Je surprends une discussion entre deux futures étudiantes. Des femmes plus âgées. Je n’ose pas m’incruster. J’écoute en douce.

J’arrive à la gare de Laroche-Migennes le cœur un peu serré par l’appréhension. On n’est pas des masses à descendre.

En un discret troupeau éparpillé, l’air de rien, on se suit dans un tunnel vers la bonne sortie, où un car nous attend. C’est là, sur ce quai de bus incongru, que le groupe émerge. Bonne surprise, des gens comme vous et moi. Même pas l’air fou. Même pas l’air désespéré. Même pas forcément hippies. Des gens de tous les âges. De tous les styles. Des femmes et des hommes.

On n’ose pas se dévisager alors on esquisse des sourires. Des regards. Et puis on redevient timide. On sait qu’on va partager des choses en silence. Qu’on sera camarades de galère. Que tous on a laissé derrière notre train-train, notre réseau rassurant, pour s’extraire de nos vieilles habitudes mentales et relationnelles, pour tenter de changer quelque chose. De rendre notre vie et peut-être celle de ceux qui nous aiment juste un tout petit peu meilleure.

On sait qu’on va devoir déployer des trésors de tolérance pour apprendre à cohabiter, pendant ces dix longues journées.

Chacun se dit aussi qu’il y a peut-être, parmi tous les autres, de futurs amis, de futurs compagnons de route, quelques potentielles connaissances.

Pour me donner une contenance, j’allume une cigarette au briquet d’autrui et je prends l’air de celle qui en a vu d’autres.

C’est con. Je me sens un peu coupable, tout en grillant ma clope. Et puis je me demande si j’en refumerai une un jour. Ou si je vais enfin prendre la claque de santé radicale et inespérée apte à me faire décrocher. Je passe mon dernier coup de fil urgent des dix prochains jours. J’appelle Jules.

Je me déculpabilise en rognant sur le timing : le cours, après tout, il commence quand ? En arrivant à la gare ? En montant dans le bus ? En arrivant au Centre ? Ou ce soir, quand à partir de 18h, on devra s’emmurer dans le silence ?

 

Une brésilienne – mon âge à vue de nez - me demande dans un français approximatif si c’est bien le bus pour Vipassana. Je lui fais répéter en anglais.

On embarque. Je m’assois à côté d’elle. Et on entame une discussion à très grande vitesse, histoire de tirer le maximum d’information en un minimum de temps. Les minutes de parole sont comptées.

 

Le bus s’enfonce dans la campagne bourguignonne.

Ca me fait penser qu’on n’aura pas le droit de manger de la viande.

Je me demande si j’en remangerai un jour. Ou si je me sentirai trop proche des autres êtres vivants, en sortant, pour accepter de me les mettre dans l’estomac.

Je me demande si j’aurai encore le courage d’éradiquer les fourmis qui envahissent mon chez-moi. Après ça.

Même si je n’ai qu’une idée très floue de ce que CA va être.


On arrive au Centre. Un complexe moderne, d’une symétrie parfaite, au milieu de nulle part.

Goûter. Thé. Papote. Cette même urgence de la communication. Comme si on ne devait plus jamais parler à personne. Comme s’il était vital de tout savoir sur tout le monde avant de ne même plus les regarder. Comme si on pouvait tout savoir sur soixante-dix personnes en trois heures.

Je me disais que si je ne savais pas avant le gong de 18 heures quel âge avait telle ou telle personne, ou ce qu’elle faisait dans la vie, ou, même, son prénom, je passerais les neuf prochains jours à retourner ces questions dans ma tête. Comment se concentrer dans ces conditions ?

 

Gong. Il est déjà 18 heures. C’est foutu pour la concentration.

 


 

Le jour J (suite)

 

Dans un grand « hall » de méditation, des petits tapis carrés et molletonnés sont répartis sur une moquette. Hommes et femmes y accèdent par des sas séparés. A partir de maintenant, nous vivrons en parfaite autonomie : chacun sa salle à manger, chacun son aile de bâtiment, chacun son côté du parc. Chacun son côté dans le hall de méditation.

Individuellement, c’est aussi à chacun son tapis. Trente-cinq femmes environ dans les sept rangées de droite. Séparée par un couloir central d’autant de rangées d’hommes.

Au fond du hall, l’assistant–enseignant, un cambodgien, s’assoit en tailleur sur une plate-forme surélevée.

 

Sur bande sonore, la voix d’un traducteur français succède à celle de Goenka [le maître] en version originale  pour nous demander de nous asseoir le dos bien droit et  de nous concentrer sur notre respiration. Je ne tiens pas 30 secondes d’affilée. Ni pour le dos, ni pour la concentration. Je croise et décroise les jambes et les bras. Tente de me mettre à genoux. Reviens en tailleur. Dispose quelques coussins supplémentaires.

Et puis surtout, je pense à mille autres choses. Je déroule sur l’écran de ma tête les trois films que je me suis enfilés les jours précédents. Quelques épisodes de Nip/Tuck. Et puis je m’en projette d’autres. Des films à moi. Qui revisitent en 16/9 les scènes d’un passé qui n’est pas arrivé, qui me racontent un futur qui n’aura jamais lieu. Je me projette une héroïne que je ne serai jamais, des être animés qui n’existent que dans mes phantasmes, les copies arrangeantes de gens que je connais, et un monde juste assez grand pour moi, taillé à ma juste mesure, et qui me donne à boire la coupe de mes rêves.

Patiemment, systématiquement, quand je me rends compte que mon esprit s’est égaré, je le ramène vers l’observation de ma respiration. Et c’est parce que je me dois de revenir à cette respiration que je prends conscience, précisément, de chacun des scenarii que je me réalise.

Je savais déjà que je vivais dans une bulle. Je le savais intellectuellement. Aujourd’hui, j’en ai fait l’expérience.

Gong. Pause, gong, premier grand discours, sur bande vidéo, de Goenka. Il a une bonne bouille. Il parle anglais avec l’accent indien. Je voulais voir le visage du maître. Les jours suivants, pour ne pas perdre une miette de son enseignement, je me contenterai d’une bande sonore, traduction française du discours original.

Gong. Fin du discours, nouvelle méditation. Je passe à 35 secondes. Victoire.

C’est juste que je me demande comment je vais tenir 11 heures de méditation par jour si ma marge de progression et de 5 secondes par heure, avec une base de départ de 30 secondes. Le calcul mathématique me laisse dubitative.

Gong. 21h00. Fin officielle de la journée.

Gong. 22h00. Extinction des feux. Je me couche. Mon lit est froid. La lumière qui indique la sortie de secours baigne l’alcôve que je partage avec 5 apprenties-méditantes, comme moi, d’une lumière jaunâtre. Et pourtant, je suis enthousiaste. Impatiente de passer aux choses sérieuses. D’en apprendre plus sur cette mystérieuse technique. De savoir si je vais trouver quelques réponses aux questions que je me pose. De pulvériser mon record de concentration.

Je me suis engagée à rester ici dix jours.

 

C’est là que je me rends compte que j’ai oublié d’acheter des boules Quiès.

 


 

Jour  5

 

Gong. 4h00. On est demain. Gong, je n’ai pas de montre, et le temps n’existe plus. Le temps est une suite ininterrompue de tentatives de concentration, de rêveries avérées,  de pensées spontanées, de réflexions profondes, de somnolences et de siestes, ponctué par des gong. Il fait jour et puis il fait nuit. Et c’est encore gong, gong, gong.

Gong. Chaque jour est un jour sans fin.

On est demain. Ou bien après-demain. Gong. Gong. Le jour d’après. Celui d’après. Gong, gong, gong.

Ce qui change, petit à petit, c’est la proportion concentration / rêveries dans les quelques heures obligatoires dédiées quotidiennement à la méditation de groupe. Proportion qui s’inverse heureusement. Le cinquième jour, j’ai fait des progrès. Lors des méditations de l’après-midi, je ne rêve presque plus, et les pensées spontanées qui affluent – souvent parfaitement absurdes, parfois joliment humoristiques, quelquefois dangereusement noires – ne forment plus dans l’observation de ma respiration qu’un bruit de fond auquel je prête de moins en moins d’attention.

 

J’ai essuyé, entre deux méditations, des heures entières de tempête. J’ai vu ma voisine de chambre abandonner le deuxième jour. J’ai lutté, en vain, contre une somnolence matinale inéluctable qui m’empêche toute méditation effective avant 11 heures. J’ai eu mal au genou pendant trois jours, et c’est passé. Je me suis beaucoup ennuyée. J’ai eu envie de cigarettes. J’ai eu envie d’inconduite sexuelle. Je me suis un peu menti à moi-même. J’ai beaucoup trop pensé à un homme. J’ai eu besoin d’actions concrètes et immédiates à l’extérieur, moi qui remettais toujours au lendemain ce que je pouvais faire avant le stage. J’ai fait de la résistance à la discipline. J’ai même enfreint à quelques reprises la loi du silence. Je me suis sentie nulle, le cancre du radiateur. J’ai refusé d’être un étudiant sage parmi les autres. J’ai souhaité fomenter une révolution contre l’impersonnalité de la technique. J’ai refusé d’être universelle. J’ai remis en question les compétences de l’assistant. J’ai maudit les deux amis qui m’avaient précédée dans ce cours. Et puis j’ai souhaité partir un nombre incalculable de fois.

Mais il y a, chaque soir, à 19 heures, gong, le long discours de Goenka. Et chaque soir, à 19 heures, gong, Goenkaji retrace les évènements de la journée. Et il nous parle, par cassette interposée, avec une précision mécanique, de notre somnolence, du bruit de fond de nos pensées, de nos douleurs physiques, de l’intérêt de la discipline et de notre résistance, du rôle de l’assistant, de notre besoin de différentiation, de notre désir continu de nous enfuir. Et parce que je ne suis pas la seule à rire de moi-même, je comprends à nouveau chaque soir qu’il sait exactement ce qu’il fait. Que cette technique, millimétrée, parfaite, a été testée, par quantités d’étudiants avant moi et à travers le monde. Et que je réagis, comble de l’universalisme, magie du genre humain, comme l’a fait minutieusement chacun d’entre eux.

 

Et puis, un soir, à l’extinction des feux, il y a une nuit sans lune, dehors, et un ciel constellé d’étoiles, une voûte en trois dimensions, et Bételgeuse qui me fait de l’œil. Et je sens que tout ce calme, que toute cette solitude de promiscuité, me rentrent dans le cœur.

On est le cinquième jour et je suis encore là.

Chaque minute restante m’est devenue précieuse.

Une chance inouïe. Une opportunité inespérée de progresser le plus loin possible.

Il n’est plus question d’ennui.

Et il n’est plus question de s’en aller.

 


 

Jour 9

 

C’est  aujourd’hui le dernier jour de silence. Cela fait quatre jours que nous travaillons sur la technique Vipassana proprement dite. Les règles sont devenues plus dures. Trois heures par jour, lors des méditations de groupe, nous nous efforçons de ne pas bouger et de maintenir notre concentration. Ne plus étendre les jambes ou les bras. Na plus se repositionner. Garder le dos droit, les yeux fermés.

Le hall de méditation se remplit de silence. On n’entend plus le froissement des habits, des corps qui se déplient.

Les premières heures, j’avais si mal, aux jambes, au dos, que j’avais des nausées. Souvent, j’ai bougé quand même. J’ai entrouvert les yeux pour voir comment les autres géraient leur souffrance ; S’ils souffraient au moins. Il fallait que nous soyons tous dans la même galère pour que je tienne. Que je ne sois pas la seule. Mais quand j’osais le coup d’œil prohibé, je voyais soixante dix corps immobiles, statufiés, aux visages impassibles, les yeux clos. Un grand moment de solitude.

 

Le 6ème jour  Goenka dans son discours nous raconte à nous-même.

Il sait bien Il dit qu’au bout d’une demi-heure, nous commençons à souffrir.  Qu’au bout de 45mn la douleur est insupportable. Qu’autour de la 55ème minute, quand les « chanting » de fin commencent, chaque seconde est devenue torture. Que chacun de nous supplie en silence, pour que ces dernières secondes s’écoulent le plus vite possible, plus vite, plus vite. Mais que ces secondes-là nous paraissent des heures.

Il dit que nous entrouvrons les yeux, pendant ces séances difficiles. Que nous voyons les autres et que nous pensons être, chacun, le plus mauvais élève. Mais que nous nous trompons.

Il a misé sur la stimulation de groupe. La si humaine vanité. La compétition. La fierté. Qui nous fait nous accrocher. Il nous le dit. Puisque tout le monde éclate d’un grand rire soulagé, je comprends finalement que nous logeons tous à la même enseigne.

J’apprends à observer ma douleur, son infinie diversité. « Anicca », « tout passe » en pali, la langue du Bouddha.

A accepter cette souffrance physique, à l’accueillir sans a priori, avec équanimité, comme on accueille aussi exactement un léger frissonnement, la douce caresse du vent, le souffle de notre respiration, un vertige grisant, des fourmillements, le battement de notre coeur. Comme on accueille le mouvement éphémère et changeant des sensations physiques multiples qui nous parcourent le corps, et que l’on perçoit enfin, à force d’entraînement, à force de concentration.

La perception consciente des sensations physiques et des processus mentaux – idées, pensées, intuition, conditionnements, préjugés, instincts, le pire et le meilleur - est un sens. De même que l’on affine son palais quand on est cuisinier ou œnologue. De même que l’on affine son odorat quand on est nez. Ou son oreille quand on est musicien. De même on peut affiner sa conscience pour se connaître mieux.

Là il s’agit de connaître son corps, machine humaine, universelle par excellence.

Il n’y a plus UNE douleur, compacte et grossière, mais une foule de sensations sous-jacentes. Sous la douleur apparente, je sens un flux, irrégulier et qui prend des formes diverses, identifiables mais difficilement descriptibles.

Ma douleur devient surmontable.

Mieux, je l’accueille avec une bienveillante neutralité.

Je sais son rôle. Je comprends son utilité. Je lâche prise.

Ma douleur disparaît soudainement. Elle se dissout littéralement. Il y a quelque chose – c’est tout l’intérêt de ce travail – que j’ai réglé au niveau inconscient.  Je m’en rendrai compte en sortant, quand confrontée à des évènements du quotidien, je m’observerai réagir différemment. Avec un œil neuf. Et serein.

Elle réapparaît ailleurs. Elle se dissoudra à nouveau. Anicca.

Je suis enfin convaincue que ces sensations sont liées au mental. A l’inconscient.

C’est le début d’un travail de plus longue haleine.

 


 

Jour 10

 

Un nouveau gong, après la méditation du matin, et c’est la libération.

A nouveau nous pouvons communiquer.

Tout à coup les têtes se lèvent, les regards ne s’évitent plus, s’allument, les pas s’accélèrent, les rires fusent. Les mots sortent, remplissent l’espace, le silence, tout le bâtiment. On se surprend encore quelques heures à culpabiliser à chaque émission. On se rend compte à quel point, souvent, on parle pour ne rien dire.

 

On commente la guerre des bananes et on en rit. Quand à l’heure du goûter, il n’y avait qu’une poignée de bananes contre trop d’oranges. Et que c’était la précipitation chaotique, la loi de la jungle, première arrivée, première servie, on joue des coudes.

Les initiatrices du tacite arrangement « une demie banane - pas plus » relatent leur découragement à la vue de ces affamées incontrôlables.

Comme quoi, quand on ne peut plus établir de règle, quand on ne communique plus, on redevient un animal. A quoi ça tient, hein, l’humanité ?

On surenchérit sur la machine à infusions - basilic, romarin, thym, persil, sauge, menthe. Il faut en avoir bu pour savoir. Sur le beurre de cacahouète. On demande des précisions sur les plats non-identifiés que l’on a vu défiler sans parfois – je l’avoue – oser y goûter.

On parle de ce qu’on a en commun, à vue de nez. De ces dix jours hors du temps.

 

Comme c’est mixte à nouveau, les filles font un effort. On ne démolit pas en quelques jours une humanité de conditionnements.

Ceci dit les échanges inter-sexes sont rares.

Nous avons envie, avant tout, de connaître nos voisines de chambrées et de salle à manger.

On revient, chacune, sur notre parcours.

Celles qu’on avait vues craquer nous racontent parfois leur traversée de la vallée des larmes.

Celles dont on pensait qu’elles craqueraient nous disent comment elles ont tenu bon.

Des affinités se créent, se confirment, on échange des numéros de téléphone, des e-mails, on promet de se revoir… les plus affinités papotent jusqu’à tard dans la nuit, jusqu’au matin, s’il faut.


Il y a urgence, à nouveau : demain matin, chacun rentrera chez soi.

Affronter le dur retour à la civilisation, bruyante, agressive, préoccupée d’elle-même et de choses superflues. Inconsciente. Comme nous.

Et essayer, chaque jour, de méditer un peu, une heure, deux heures. Histoire de conserver  le précaire équilibre.

Le stage nous aura donné l’impulsion, nous continuerons sur notre lancée. Un jour, une semaine, un mois… un an ? Et puis, peut-être nous reviendrons. Approfondir. Enlever quelques nouvelles couches des conditionnements qui nous pourrissent la vie. Apprendre à se connaître mieux.  A s’aimer. A aimer.

 


 

Epilogue

 

J’écris ces lignes presque deux mois après la fin du stage.

 

Je me suis remise à fumer le jour de ma sortie. En contrepoids, un peu, de l’immense choc que j’ai ressenti en re-débarquant à Paris, accueillie que j’ai été par, en vrac, des contrôles d’identités arbitraires dans le train, un clodo illuminé à la gare, des manifs anti-caricatures voilées à la place de la Nation.

Je n’ai pas bu d’alcool pendant quelques jours,  pas mangé  de viande pendant quelques semaines, et j’ai médité régulièrement pendant un mois. Aujourd’hui, je ne pratique plus, mais je ressens un manque. Je sais que je m’y remettrai. Et je sais que je retournerai faire un stage.

Je l’aborderai avec une grande confiance dans la technique et dans l’enseignement, et ce lâcher prise me permettra de progresser un peu plus vite, de me concentrer mieux.

Je l’aborderai avec gratitude pour ceux qui bénévolement donnent de leur temps pour que cet enseignement puisse se répandre, et permettent ainsi à des personnes de toute catégorie sociale de s’explorer un peu, et de s’améliorer. Je m’intéresse à l’enseignement du Vipassana dans les prisons, qui, en Inde, a induit quelques petits miracles de réinsertion.

Depuis que je suis sortie, je n’ai été contactée par personne de l’association. Personne ne m’a demandé de l’argent. Personne ne m’a encouragé à faire du prosélytisme. J’ai reçu par mail le rapport trimestriel de gestion, qui fait le point sur les finances de Dhamma Mahi, en toute transparence.

Le cours auquel j’ai participé est gratuit. Il appartient à chacun de faire un don, selon ses moyens, et selon son envie. Certains n’ont rien donné. On ne leur a rien réclamé.

Vipassana n’est ni une secte, ni même une religion.

Vipassana est une technique de méditation, qui repose sur les sciences de l’esprit – au même titre que la psychologie en Occident -  telles qu’elles ont été étudiées en Inde depuis des millénaires.

Une technique à l’épreuve du quotidien, que l’on nous demande de remettre en question en permanence.

Parce qu’on juge l’arbre à ses fruits.

Or, les effets bénéfiques du stage me sont apparus immédiatement. Moi qui m’éparpillais dans mille projets irréalistes, je suis devenue plus centrée. Je parviens à me fixer des objectifs à court terme, à faire des choix et à les assumer. Je ne panique plus en envisageant les mille chemins qui peuvent en découler. Je me fais moins de scenarii, je ne me projette plus héroïne. J’essaye de vivre au jours le jour, avec des données objectives – ce que je suis aujourd’hui, où j’en suis. Je prépare des plans B que je ne développe que si nécessaire. Et je me suis remise à écrire.

Force est de constater que je suis plus sereine.

Bien sûr il y a encore beaucoup de travail.

 

J’ai expérimenté quelques vérités, confirmé quelques hypothèses, aussi.

Quand on explore son mental, on se rend forcément compte que l’on a le pire et le meilleur en soi. Accepter que l’on porte le pire, l’inavouable, l’indicible, le mal en potentiel, c’est un cheminement d’humilité qui rend infiniment tolérant vis-à-vis de son prochain. Travailler à développer le meilleur, c’est grandir pour soi, et pour les autres. En amour de soi, et en amour de l’autre.

Quand on souffre, on pense, souvent que la souffrance nous est extérieure. Or, on ne donne au monde que le pouvoir sur nous qu’on veut bien lui déléguer. Si un type que vous ne connaissez pas vous insulte dans la rue, s’il se trouve qu’il tombe à peu près juste, vous pourrez passer des années de votre vie à ressasser l’évènement. A en souffrir. A regretter de n’avoir pas réagi. A vous demander si vous portez vos problèmes sur votre visage. Le type, quant à lui, vous aura oublié quelques minutes après l’incident. Vous pouvez dire que c’est cet inconnu qui a provoqué votre souffrance, mais en réalité, c’est vous qui avez laissé cette insulte vous toucher. Vous auriez pu refuser cette insulte, la lui rendre, ne pas l’accepter. Et passer votre chemin. La souffrance est en nous, souvent. C’est difficile à accepter.

Il y a des évènements dans la vie que nous ne maîtrisons pas. Les accueillir avec équanimité, cette espèce de neutralité bienveillante, c’est s’autoriser l’action plutôt que la réaction. Il ne s’agit pas d’indifférence, mais d’objectivité. Il s’agit de ne pas se placer, nous, somme de nos conditionnements, au centre du monde.  

 

Ma maman, Vipassana et moi.

Ma maman qui s’inquiète pour moi, et dont l’égalité d’humeur m’inquiète parfois en retour, serait-elle un modèle d’équanimité  ?

Comme quoi tous les chemins mènent à Rome. Il s’agit simplement de choisir le sien et de se mettre en route.

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