ANATOMIE DU MAL de OVE NYHOLM -
Documentaire - Danemark - 89 mn (2005)
Monsieur Ove Nyholm est danois. Il avait décidé, dans sa lointaine jeunesse, que le monde avait atteint le degré zéro de la conscience avec l’holocauste. Il pensait que depuis, forts des pénibles leçons de l’Histoire, les occidentaux progressaient continuellement : ils s’étaient organisés en institutions et associations garantes du maintien de la paix et des libertés fondamentales, avaient peaufiné leurs systèmes éducatifs et leurs diplomaties en ce sens, croisé leurs économies, et le monde entier allait en prendre de la graine. Par conséquent, une nouvelle ère des lumières s’ouvrait pour l’humanité, et l’avenir ne pouvait qu’être rose.
On voit quelques images, de l’horreur, qui révoltent. De la violence gratuite. Plus loin que les ordres, parfois. Ils n'ont épargné personne. On retient quelques phrases :
Le réalisateur : « Et si c’était à refaire ? ».
Un paramilitaire serbe : « A quelques détails près, je ne changerais rien ».
Un ancien Commandant des Einsatz Gruppen (unités mobiles d’extermination) nazis, 3000 hommes répartis en 4 unités qui ont massacré 1,5 millions de juifs dans les pays de l’Est pendant la seconde guerre mondiale, tente de nous attendrir. Il raconte qu’il demandait à ses soldats de ne jamais séparer les enfants de leur mère. Il fallait au contraire qu’elle les garde dans leurs bras. Pourquoi ?
PARCE QUE cela permettait qu’ils se tiennent plus tranquilles… et surtout, surtout, de les tuer tous deux d’un coup en une seule balle. Efficace et économique donc.
Comment peut-on à ce point se détacher de toute émotion ? Où sont passées, chez ces gens-là, la compassion, l’empathie, ou, à défaut, le sens de l’honneur, la morale ?
La première fois, on tue parce que l’on doit.
Ca n’est jamais facile. Un milicien serbe compare cette première fois à une défloraison. Ca coûte, un peu : quelque chose comme la virginité de l’âme. On n’oublie jamais une première fois.
Les fois d’après, non. Les fois d’après, ça devient très facile. Et même, on y prend goût. On devient accroc. On se sophistique dans la terreur, dans l’horreur. On se spécialise. Parfois, même, on s’ennuie.
On s’attache à un sentiment de toute-puissance, à ce droit supérieur de vie et de mort sur son prochain. Alors, on joue à redonner espoir, et puis à changer d’avis. Parfois on épargne, c’est arbitraire.
On s’attache à la mort de l’autre. A cet instant fugace où l’étincelle de vie disparaît d’un regard.
On explore l’angoisse du condamné, qui se lit dans ses yeux, dans la sueur qui coule sur sa peau, dans tout le tremblement de son corps. Ca aide à le mépriser mieux.
On observe sa souffrance, quand celui qu’il aimait vient de tomber à terre. Son père, sa sœur, sa femme, son enfant.
On catégorise : il y a les bruyants, ceux qui hurlent et supplient, ceux qui s’excusent de rien, ceux qui négocient. Et puis les silencieux, pas plus respectables.
C’est eux qui le disent.
« Après, nous nous sommes saoulés, et c’est tout. »
Ils n’y pensent pas souvent. Ils essaient de ne pas regarder en arrière. A demi-mot, on comprend qu’ils sont hantés. Pas forcément pas leurs victimes. Parfois, si.
Mais ce qu’ils regrettent le plus, c’est leur vie, leur personnalité d’avant. C’est le souvenir de ce qu’ils ne sont plus qui les hantent. Le souvenir de leur humanité perdue. D’un temps où pour eux la vie d’autrui avait un sens. Où ils jouissaient de petits bonheurs simples. Et c’est avec envie et jalousie qu’ils observent la foule de leurs congénères aux mains propres.
Le Kommander avait des ordres. Il ne pouvait pas y déroger, dit-il. Sans doute, il était aussi persuadé qu’une menace grave pesait sur l’avenir de l’Allemagne. De même, les serbes des milices étaient recrutés à grand renfort de plaidoyers sur l’avenir de la Serbie, d’histoires de persécution et de massacres par les adversaires. Au Kosovo, c’était « dix civils albanais massacrés pour venger un seul civil serbe».
Alors on comprend mieux pourquoi les femmes et les enfants aussi. Je suis allée fouiller sur le web pour confirmer mes hypothèses. Voilà ce qu’en en on dit des hauts dirigeants nazis, lors des procès de Nürnberg :
« Je crois que c'est très simple à expliquer, si l'on part du fait que cet ordre visait non seulement à procurer (à l'Allemagne) une sécurité temporaire mais aussi une sécurité permanente. Dans cette optique, les enfants étaient des individus qui grandiraient et constitueraient sûrement, étant les enfants de parents qui avaient été tués, un danger non moindre que celui de leurs parents. »
Himmler lui-même :
« La question suivante nous a été posée: « Que fait-on des femmes et des enfants ? » - Je me suis décidé et j'ai là aussi trouvé une solution évidente. Je ne me sentais en effet pas le droit d'exterminer les hommes - dites, si vous voulez, de les tuer ou de les faire tuer - et de laisser grandir les enfants qui se vengeraient sur nos enfants et nos descendants. Il a fallu prendre la grave décision de faire disparaître ce peuple de la terre. »
Alors Nyholm a raison. Le fondement de toute autojustification génocidaire est bien celui-ci : “Ils doivent mourir pour que je puisse vivre”.
Y’a-t-il un terreau favorable à la folie meurtrière, dont nous serions exempts ?
Un milicien nous dit que chaque homme est un meurtrier en puissance. Qu’il existe en chacun de nous un mécanisme. Qu’il suffit d’appuyer sur un bouton, dans notre tête, pour l’enclencher. Pour que le mal devienne notre habit quotidien.
Parfois, c’est un évènement extérieur qui le déclenche. Voir mourir des être chers. Tout perdre. Devoir tuer une première fois.