La belle hypocrisie
LUXEMBOURG (AFP) - "La Turquie et la Croatie sont entrées lundi soir dans la phase concrète de leurs négociations d'adhésion avec l'UE, "une journée à marquer d'une pierre blanche" selon Ankara qui s'est cependant vu infliger un carton jaune sur ses relations avec Chypre.
Après plusieurs jours d'incertitude due à l'opposition de Chypre, les ministres européens des Affaires étrangères ont finalement trouvé un accord pour ouvrir avec la Turquie le premier des 35 chapitres thématiques qui jalonnent les négociations d'adhésion, celui sur la science et la recherche.
Cette ouverture a pu se faire peu avant minuit (21h15 GMT) lundi avec le ministre turc des Affaires étrangères Abdullah Gül, quelques heures seulement après l'ouverture de ce même chapitre avec la Croatie, qui n'avait suscité aucune polémique. "C'est une journée à marquer d'une pierre blanche", a déclaré M. Gül, alors que le commissaire européen à l'Elargissement Olli Rehn parlait de "pas en avant important".
Les responsables de l'UE comme M. Gül n'ont cependant pas caché la difficulté avec laquelle, une fois encore, ce "nouveau jalon" dans les relations UE-Ankara avait été franchi.
En même temps qu'ils envoyaient ce "signe d'encouragement" à la Turquie, les 25 ont en effet adopté lundi, pour lever l'opposition de Nicosie, une déclaration représentant pour Ankara un sérieux avertissement à améliorer rapidement ses relations avec la partie chypriote grecque, entrée dans l'UE en 2004. M. Rehn a expliqué que les 25 demandaient à la Turquie de laisser pénétrer sur son territoire "le plus rapidement possible" les avions et navires chypriotes grecs, comme le prévoient l'union douanière entre l'UE et la Turquie et le protocole dit d'Ankara, que la Turquie a signé en juillet dernier mais jamais ratifié.
"Un échec de la Turquie à appliquer pleinement toutes ses obligations affecterait le progrès général des négociations", ont averti les 25 dans leur déclaration de principe. Avec cette formulation, le ministre néerlandais Ben Bot a indiqué que les 25 menaçaient clairement Ankara d'une "interruption des négociations" d'adhésion si aucun changement n'était visible d'ici "quelques mois". Chypre est coupée en deux depuis que l'armée turque a envahi sa partie nord en 1974, après un coup d'Etat d'ultranationalistes chypriotes grecs soutenus par la junte alors au pouvoir à Athènes, qui voulaient rattacher l'île à la Grèce. M. Gül a défendu la position turque, justifiant le non-respect par la Turquie du protocole d'Ankara par l'absence de règlement à la division de Chypre, coupée en deux depuis 1974. "Il ne faut pas se tromper de sujet et chacun doit faire de son mieux pour essayer de régler cette question chypriote", a souligné M. Gül. "Cette situation ne devrait en aucun cas mettre en péril nos relations, ce n'est dans l'intérêt de personne", a-t-il ajouté. M. Rehn a cependant souligné que la question chypriote n'était pas le seul obstacle au bon déroulement des négociations avec la Turquie.
"Il n'y aura pas de progrès réel des négociations s'il n'y a pas de progrès réel de la situation politique en Turquie", a-t-il fait valoir. Il a notamment exigé des progrès d'ici le rapport sur la Turquie que doit présenter la Commission "fin octobre-début novembre" en matière de liberté d'expression, de liberté de culte et de droits des minorités -- trois questions sensibles dans les négociations avec ce pays à majorité musulmane. Ces exigences confirment combien les pourparlers d'adhésion avec la Turquie sont difficiles. En octobre, l'ouverture formelle des négociations d'adhésion avait déjà été laborieuse. Plusieurs Etats membres, notamment l'Autriche, étaient hostiles à une adhésion à terme de ce pays à cheval entre l'Europe et l'Asie.
Même si les 25 sont devenus généralement réticents à tout nouvel élargissement, les discussions sont bien plus faciles avec la Croatie. Zagreb conserve d'ailleurs une perspective d'adhésion relativement proche, le commissaire européen à l'élargissement estimant possible de conclure les négociations vers "la fin de la décennie". Pour la Turquie, personne ne parle de date et tout le monde sait que les pourparlers prendront au moins 10 ans."